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Arrête-toi pas

Texte par Gabriel Robichaud

Illustration par Layloo Lapierre

Ça te prend au ventre. Quelque chose qui passe pas. Qui aurait jamais dû se passer. Le passé qui s’incruste dans le temps. C’est plus creux qu’une question, pis ça se satisfait pas d’une réponse. Tu cherches et tu trouves pas les mots. Tu sais pu trouver la route vers le paisible, quand le ventre, la tête et le reste te laissent tranquilles. Comment trouver le chemin qui ramène à la confiance quand ta trail est tapée de trahisons?

Le souvenir a pas d’âge. La mémoire a beau flancher, ça l’empêche pas de revenir. Les nuits de sommeil se font rares quand ton silence te parle par bribes ou par cauchemars. Parce que digérer un travers de gorge, ça peut traverser les décennies quand parler fait plus mal que se taire.

Illustration d'un enchevêtrement de lignes et de petits objets

Ça commence par un mot. Un mot bien placé dans une oreille qui fait pas juste entendre mais qui sait écouter. Une oreille qui fera la différence quand tu pars sur une sheer, quand le moton te pogne, quand tu retournes au tout croche qui s’est construit malgré toi au creux de toi. Puis les mots se multiplient. Ceux qui font le plus mal d’habitude. Les premiers. Ceux qui affirment, ceux qui nomment, ceux qui reconnaissent. Ceux qui font revivre tout ce que le silence protégeait. Mais à force de nommer, le mal change de place, pis le travers de gorge se libère. Tranquillement, à force de le faire, ça fait plus mal de se taire que de parler.

T’essaies d’apprendre à croire de façon durable aux mots « c’est ok », « ça va être correct », « ça va bien aller ». T’apprends à oublier que t’as appris que c’étaient pas des mots pour toi. Tu te mets à voir poindre l’idée d’aller mieux, pis même si tu t’en méfies, t’essaies de t’en approcher, pis même quand tu tombes, tu te convaincs de jamais la garder ben loin, comme un respire malgré l’essoufflement.

Ça t’arrête pas de revoir les conséquences. Tout ce que t’as fait pis pas fait pour te metre dans le trouble, pour te sortir du trouble, pour vivre avec le trouble que tu peux pas oublier. Tu cherches les modes d’emploi qui te permetent de trier la douleur du pardon, de faire la paix avec tout ce qui s’est passé pis tout ce qui reviendra pas. Tu te rends compte que t’as beau collectionner les deuils, y ont pas tous la même valeur, la même capacité d’écorcher ou de repatcher. Pis tu te mets à choisir. Tu deales avec la peur de passer à côté de ta vie, pis tu trouves le moyen d’agir. C’est pas juste un chemin de trouvailles. Mais quelque part, c’est du moment que tu le nommes que tu prends le premier pas vers le bout du bout de toi. Pis ça a beau être une belle phrase, ça empêche pas que c’est tough en crisse.

Tu te rends compte qu’y a pas un poing pas une poudre pas un high qui va t’arrêter de vivre avec ce qui s’est passé. Ça fait partie de toi malgré tout ce que t’as fait pour fuir. Tu comprends qu’une déception ça s’efface pas mais qu’entourée de beauté ça se peut qu’à moment donné elle prenne moins d’espace dans le portrait. Pis c’est du moment que t’affrontes tout ça que t’apprends à passer par-dessus. Que tu construis autour pour arranger le portrait avec le temps qu’y reste.

Ça te prend aux tripes pis ça t’envahit. Tu te rends compte de la place que ça prend qui fait que t’es pu capable de faire de la place pour le reste. Pis tout à coup ça change. Tu découvres les mots « déplacer le fardeau de la honte ». Ça te rentre dedans comme un phare. Une lumière pour combatre les ombres qui s’accumulent, qu’y essaient de te faire croire que t’as pas entendu ça. « Déplacer le fardeau de la honte ». Mais tu l’as entendu. Tu le sais. Tu le sais tellement que tu te mets à le répéter pis le répéter comme un mantra.

Déplacer le fardeau de la honte. Déplacer le fardeau. Déplacer la honte. Le fardeau de la honte. Déplacer. Déplacer le fardeau. De la honte. Déplacer. Le fardeau de la honte.

Pis à force de répéter tu t’aperçois que la légèreté apparait au même rythme que le poids sur l’âme que t’avais oublié que tu portais se met à se dissiper. À force de répéter, tu te rends compte de ce que ça veut dire te libérer de toi-même.

T’as toujours eu une relation trouble avec le mot victime. Tu t’en méfies comme d’un beau parleur, comme d’un mot menteur. Tu le fuis comme la peur d’affirmer ce que t’as pas choisi d’être, comme la peine d’être porteur malgré soi, comme l’homme qui a oublié le petit gars qui a déjà crié quand il comprenait pas.

Pis à moment donné les mots changent. Les mots trouvent. Ça va plus loin que le pansement, plus loin que la pensée, pis ça agit sur le ventre, sur le travers de gorge, sur tout ce que tu t’empêchais de croire. Ça veut pas dire qu’y a pas des choses pour lesquelles c’est trop tard, mais ça te donne le temps de ratraper en partie, pis de mieux choisir ce qui s’en vient. Ça se fait pas sans larmes, ça se fait pas sans cris, ça se fait pas sans avoir mal, mais ça se fait pu sans que ça fasse du bien. Pis quelque part, même quand ça continue d’écorcher, même quand ça redevient vif, même quand ça va pas assez vite, tu sais que ça continue de continuer à aller mieux.

Ça effacera pas ton histoire. Y a pas une explication qui se transformera en excuses, pas d’excuses qui pourront tout expliquer, pas de potion qui fait disparaitre les peines. Mais y a la suite. Quand tu vis pu contre, quand tu vis pu sans, quand tu vis avec, quand tu vis malgré, quand tu vis au-delà, quand tu vis par-delà ton histoire pis ce qu’elle a fait. Pis tout à coup, tu te surprends à redéfinir ce que tu trouves beau. L’obstacle se change en perspective, la limite en possible, la restriction en contrainte, la règle en façon de jouer.

On t’aura convaincu que t’étais tout seul, jusqu’à ce que tu réalises, que t’acceptes que tu l’es pas. On t’aura fait croire que c’était pas vrai, que ça se pouvait pas, que ça servait à rien, que t’en valais pas la peine, jusqu’à ce que tu trouves la force de renverser tout ça. On t’aura parlé de faiblesse pour que tu te penses pas fort, on t’aura parlé de silence de peur de ce que t’avais à dire, tout ça pour ne pas avoir à affronter tout ce que cache un secret.

Après ça, on t’aura parlé de réussite, de bonheur et de succès comme on célèbre l’instantanéité sans laisser de la place au travail acharné derrière, aux moments de peine, au découragement, à la possibilité de tomber, pis de se relever. On t’aura enlevé le droit de croire que ça pouvait t’appartenir sans doute parce que d’autres que toi y auront cru eux aussi. Pis c’est avec tout ça dans tes mains que tu prendras la parole. Avec tout ça dans tes tripes que tu diras oui ça m’est arrivé. C’est avec les bonnes pis les moins bonnes oreilles que ça finira par se rendre. C’est avec toute la volonté du monde pis toutes les raisons de faillir que tu réussiras. Parce qu’une main tendue, ça se prend bien. Des fois, ça attire même pour la bise ou l’accolade. Des fois, ça accueille pis ça invite à souper. Des fois, ça se poursuit pour une jasete qui fait du bien. Pis des fois, ça se multiplie au-delà des espérances. Pis le jour où tu laisses place aux espérances, y a pas grand-chose qui peut t’arrêter. Y aura toujours quelqu’un quelque part pour toi. Quelqu’un qui, comme moi, te dira merci. Arrête-toi pas.

Illustration d'une envolée de papillons